Source : http://www.jhm.fr
Mercredi, Eric Dupond-Moretti saluait l’acquittement d’un de ses clients (notre édition du 25-06-15). De passage à Chaumont, l’avocat de renom a accepté de répondre aux questions du Journal de la Haute-Marne. Il est question de liberté. Une liberté chérie à défendre. A tout prix.
Journal de la Haute-Marne : On présente souvent la France comme le pays des libertés, la nation des droits de l’homme. De graves atteintes aux libertés individuelles ont été dénoncées notamment dans le cadre de la loi sur le renseignement. La réputation de la France est-elle usurpée ?
EricDupond-Moretti : «Il faut être nuancé dans le propos quand on parle de notre pays, un pays où liberté et démocratie sont des notions importantes. Il suffit de jeter un œil, un œil très triste, vers un trop grand nombre de pays dans le monde où la démocratie est inexistante pour mesurer ce dont nous pouvons profiter. Mais quand on aime, on est exigeant et je le suis particulièrement avec notre pays parce qu’il a une histoire singulière. La France est le pays des droits de l’homme. Le siècle des Lumières a dégagé des principes devenus universels. On ne peut toutefois pas se contenter de cette histoire, l’histoire est intéressante uniquement en vue de construire l’avenir. Nous sommes obligés de constater que nous sommes un des pays les plus condamnés à Strasbourg par la Cour européenne des droits de l’homme. Il y a une forme de rétivité de nos instances judiciaires nationales à aller vers la liberté. L’exemple de la présence des avocats en garde à vue est flagrant. Tous les pays européens avaient adopté cette présence, nous passions pour des sauvages. J’ai la faiblesse de penser que nous aurions dû être les précurseurs, mais il a fallu que la Cour européenne des droits de l’homme condamne la France et que le conseil constitutionnel soit contraint d’intervenir pour qu’enfin la cour de cassation autorise la présence de l’avocat en garde à vue. Souvenez-vous des discours des syndicats de policiers ! La police judiciaire était menacée, une catastrophe était à venir, on n’arrêterait plus personne à écouter ces syndicats. C’est totalement faux ! Les chiffres d’élucidation des affaires n’ont pas baissé, seul le nombre de gardes à vue abusives a baissé puisque nous sommes passés de 900000 à 300 000 gardes à vue. La Cour européenne des droits de l’homme est intervenue afin de garantir la présence d’un avocat en garde à vue, elle est également intervenue dans le domaine des écoutes téléphoniques ou dans la façon dont nous détenons les hommes dans ce pays merveilleux qui est le nôtre. Nous avons pris un certain nombre de liberté avec la liberté. La querelle antique entre l’ordre et la justice se pose. Les Ims-catchers, ces valises permettant ce capter des tas de conversations téléphoniques, celles de terroristes, mais également les vôtres ou les miennes, sont d’une grande efficacité, mais ces équipements peuvent violer notre vie privée. Personne ne dit qu’il ne fallait pas faire une loi pour renforcer les moyens de la police. Les policiers spécialisés dansla lutte contre le terrorisme manquent de moyens, en priorité d’hommes ! Pour surveiller de potentiels terroristes, il faut avant tout du monde. Les événements de janvier ont mis en lumière un certain nombre de trous dans les surveillances par défaut de moyens humains. Personne ne peut dire qu’il ne faut pas lutter contre le terrorisme, mais nous devons être vigilants. La loi sur le renseignement n’offre aucun contrôle à un juge. Une commission a certes été créée, mais comme toute commission, elle est soumise au pouvoir. Le secret professionnel des journalistes et celui des avocats n’avait pas été envisagé dans le cadre de cette loi, il a fallu l’envisager via différents amendements, c’est dire si on a été vite en besogne. La liberté n’est pas une chose que l’on décrète. Comme le disait Cocteau, « il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour », il n’y a de la même façon pas de liberté, mais uniquement des preuves de liberté.»
JHM : Les Français n’auraient-ils en un sens pas peur de la liberté ?
E.D-M : «Nous évoluons au cœur d’une société et une époque où tout est hyper réglementé, nous sommes dans une sorte d’hygiénisme absolu, nous avons vocation à tendre vers un formatage insupportable, on infantilise les gens, on ne peut pas boire un verre de vin sans nous rappeler qu’il faut consommer avec modération, on ne peut plus allumer une cigarette sans que ce soit un scandale, on sombre dans la répression routière alors qu’excusez-moi ce poujadisme, n’importe quel chauffeur de ministre perd ses douze points au bout de quinze minutes, bref, comme le disait Pompidou, il faut arrêter d’emmerder les Français ! Des gens s’ingénient à emmerder le monde, je pense notamment à la cigarette électronique, on a tout de suite eu l’idée de l’interdire. Dans le même sens, on est en train d’envisager l’interdiction de fumer sur les plages ! Il faut arrêter d’emmerder le monde. En plus de cet hygiénisme, de ce puritanisme et de cette volonté de tout contrôler, je note un phénomène plus pernicieux tendant à limiter notre liberté via un formatage du langage. Quand un parlementaire perd un tiers de ses indemnités parce qu’il a dit madame la présidente au lieu de dire madame le président, on peut commencer à s’inquiéter. Les mots portent les idées, dans une traduction un peu judiciaire, Jean Giono dit au sujet de l’affaire Dominici « s’il avait eu un certain nombre de mots, il aurait été acquitté, s’il avait eu un peu moins de mots, il aurait été condamné à une peine intermédiaire, et n’en ayant pas, il a été condamné au maximum de la peine encourue ». Plus on dispose de mots et plus on dispose d’idées, ce formatage collectif du langage me semble dangereux. On doit désormais faire attention à ce qu’on raconte et aux mots utilisés, on a sombré dans une paranoïa du mot. Je ne sens pas toujours très à l’aise au cœur de notre époque.»
JHM : L’immédiateté règne à l’image de parlementaires légiférant suite à des faits-divers…
E.D-M. : «La fébrilité législative rendu sous le coup de l’émotion ou de la compassion représente un véritable danger. Cette époque est révolue, elle ne l’était pas sous l’ancienne présidence, mais de manière générale, il n’est pas bon de légiférer sous le coup de l’émotion. Des sujets sont extrêmement difficiles à traiter, il faut à la fois assurer une juste répression afin de garantir la sécurité des citoyens, mais les droits de la défense doivent être assurés, ce juste équilibre est fondamental. Le travail de la commission parlementaire suite à l’affaire d’Outreau montrait à quel point nous sommes déficients en matière de droits de la défense, mais il est possible de trouver un équilibre, pas dans la précipitation, mais en prenant du temps. L’accumulation législative a entraîné des situations particulières, à peine votées, des lois étaient dépassées par d’autres. Le juge, les avocats et les professionnels du droit doivent avoir le temps de digérer le droit pour bien le maîtriser. En matière de catastrophes naturelles, il ne faut pas perdre de temps, il faut sauver les gens dans les meilleurs délais, en matière de justice, plusieurs temps se conjuguent, le temps médiatique, le temps judiciaire et le temps législatif. Comme le dit Victor Hugo, »la foule trahit le peuple ». La procédure pénale devrait être pérenne, elle devrait être totalement apolitique, j’ai toujours du mal à comprendre comment des parlementaires de sensibilités différentes ne parviennent pas à se mettre d’accord alors qu’ils étaient parvenus à travailler ensemble dans le cadre de la commission parlementaire créée suite à l’affaire d’Outreau. Avec du bon sens, tout est possible, à la fois garantir une juste répression et garantir les droits de l’homme.»
JHM : La foule trahit le peuple… Des sondages font état d’un nombre important de Français favorables à la peine de mort. Les citoyens recherchent des coupables. Cette situation est-elle liée à un contexte de crise économique ?
E.D-M : «Cette idée de toujours rechercher un coupable est assez récente, on n’accepte plus les aléas de la vie et en particulier la mort. La mort, c’est nous, dès le premier jour. On essaie de cautériser, de panser toutes les plaies, on réglemente tout et on a besoin en permanence de coupables. Cette dérive est singulière, d’autant plus que nous n’avons toujours pas trouvé le moyen de mettre en œuvre la responsabilité des juges, c’est très paradoxal. Le juge peut condamner un chef d’entreprise parce que sur 36 kilomètres de tuyau on note une fuite, mais quand une catastrophe judiciaire comme celle d’Outreau intervient, on écarte la responsabilité du juge. La volonté de trouver une cause à chaque chose est inquiétante. Dans le cadre d’un dossier, j’ai vu un secouriste être poursuivi parce qu’il n’avait pas eu les bons gestes suite à une piqûre d’abeille. On pourrait également engager des poursuites parce que le vent était trop fort ! Dans un contexte de misère sociale, la solidarité est moindre, les temps de crise sont des temps de repli sur soi et on a une tendance à désigner l’autre comme responsable, notamment l’étranger. Les effets de la lepénisation des esprits sont clairs. Les Le Pen père et fille se sont engouffrés dans ce système et on en vient dans le pays des droits de l’homme à regretter l’abolition de la peine de mort. Un retour à la peine de mort serait d’ailleurs impossible, nous sommes tenus par des traités internationaux, le retour à la peine de mort est un gadget pour les populos. Ce serait par ailleurs un retour à la barbarie la plus absolue et une expression de repli sur soi.»
JHM : Comment un avocat peut assurer la défense d’un accusé répondant des pires horreurs ? Cette question hante toujours les esprits de nombreux Français…
E.D-M : «Beaucoup de gens se posent la question, dans tous les milieux ! Comment peut-on encore se poser cette question dans une des plus vieilles démocraties du monde ? Défendre un homme, ce n’est pas défendre un crime. On est le fruit de son histoire, les gens qui ont ont commis l’horreur ont un nombre de circonstances à faire valoir. Tout se juge et tout se plaide,personne ne peut concevoir un système judiciaire où la défense soit absente. Les droits de la défense font intrinsèquement partie de l’ADN de notre pays. Parmi les gens défendus par les avocats, des accusés sont coupables, dans d’autres dossiers, tout désigne des accusés comme de parfaits coupables, mais dans les faits, ils ne le sont pas ! Les Français détestent les avocats, les journalistes également, mais ils aiment les avocats et les journalistes quand ces personnes viennent à leur secours. Un pays où les avocats et les journalistes n’ont pas leur place est une dictature. Que rajouter d’autre ?»
JHM : Des hommes ont tenté de ruiner votre carrière en tentant de vous lier à un trafic de stupéfiants. Un état policier est-il tapi dans l’ombre de cette belle démocratie ?
E.D-M : « Non ! Mais tous les hommes qui ont du pouvoir sont tentés d’en abuser comme le dit Montesquieu. Une démocratie est un système dans lequel des contrôles sont mis en place pour éviter au petit chef de service, au policier, à l’avocat ou au juge de déraper. Des comportements individuels sont condamnables, mais nous nous ne pouvons pas parler d’un état policier latent. Il y a des bons juges, de bons policiers et de bons policiers parce qu’il y en a de mauvais. Quand un justiciable tombe sur un mauvais flic, un mauvais juge et un mauvais avocat, il est mal parti, mais cette situation n’est pas liée à une volonté politique.»
JHM : De nombreux hommes politiques ont été avocats. Une carrière politique pourrait-elle vous séduire ?
E.D-M : «Le temps des avocats en politique est révolu ! Faire de la politique ? Jamais et je vais vous expliquer pourquoi. Entre le désordre et la justice ou entre l’ordre et l »injustice, il est un choix qui ne pourrait être le mien. Je suis un homme trop libre pour m’inscrire dans une logique de parti. Je ne suis et ne serai jamais l’homme d’un parti. J’ai défendu des hommes politiques de gauche ou de droite, j’accepte cette idée à titre personnel, mais je veux pas être l’avocat du parti socialiste ou des Républicains, encore moins du Front national, c’est totalement exclu. Je me définis davantage comme un anarchiste épicurien que comme un homme de parti ou de système. Je n’appartiens de la même façon à aucune coterie.»
JHM : Vous n’assureriez pas la défense d’un élu du Front national, maiscet élu mériterait toutefois d’être défendu…
E.D-M : «Je serais prêt à me battre pour que cette personne soit défendue ! Je suis même prêt à assurer la défense d’une personne du Front national si elle reconnaît s’être trompée ! Je suis un fils d’immigré, Jean-Marie Le Pen ne m’a jamais fait rire dans ses saillies drolatiques. Sa fille découvre la lune ! C’est une vaste plaisanterie, une petite entreprise, le père s’est occupé des juifs, la fille s’occupe des musulmans. Je déteste leurs idées, ce repli, cette idée que le danger vient de l’autre. Les partis traditionnels sont aussi responsables de l’émergence du Front national, ces partis n’abordent plus de véritables sujets, on est toujours dans le compassionnel. La question des prestations socialespour les étrangers se pose dans notre pays. Comment, à partir de quand et selon quelles modalités peut-on prétendre à bénéficier de ces aides ? C’est un véritable débat ! Le système actuel peut générer une immigration préjudiciable aux Français. Des personnes n’ont pas forcément envie de s’intégrer, il faut le reconnaître ! Je suis fils d’immigré, quand ma mère est arrivée en France, les prestations sociales n’existaient pas, elle a travaillé quelques jours après son arrivée, avec une véritable envie de s’intégrer. Ces questions peuvent se poser, mais il faut bien les poser, en dehors d’un discours compassionnel, haineux ou revendicatif. Le respect des êtres humains est essentiel, la vulgarité et la trivialité ne peut pas se mêler à ces sujets.»
JHM : Vous êtes un des pénalistes le plus connu en France. Les sollicitations de clients doivent pleuvoir. Comment choisissez-vous vos dossiers ?
E.D-M : «Je ne choisis pas, j’opère un tri, en premier lieu en fonction de mon agenda. Je ne peux pas plaider à différents endroits le même jour ! La nature de l’affaire compte, je ne traite pas les dossiers afférents au droit européen ou au droit prud’homal, je ne maîtrise pas ces matières, idem pour le droit de la famille. Il faut également que je me fasse payer. Je vis de mon métier !»
JHM : Vous comptez plus de cent acquittements, grâce à vous, des femmes et des hommes peuvent goûter à leur pleine liberté.
E.D-M : «Ce n’est pas rien ! C’est comme demander à un médecin s’il se souvient des personnes qu’il a pu sauver au cours de sa vie. Ces choses sont inscrites au plus profond de moi-même. Je mourrai avec ça ! Je n’ai pas choisi ce métier par hasard et ne continue pas par hasard. Le jour où ce métier ne me passionnera plus, il sera temps de faire autre chose. On ne traverse pas la vie des êtres sans en retenir de nombreuses choses. Les injustices sont également de véritables morsures.»
JHM : Votre vocation vous est venue très tôt. Votre fougue ne s’altère pas. La passion tire son essence de l’enfance…
E.D-M : «Vous et moi, vos lecteurs et nous tous sommes d’abord et avant tout le fruit de leur histoire, mais cette histoire ne définit pas tout. Je ne crois pas au déterminisme total. Dans des fratries,j’ai vu un frère devenir flic et l’autre devenir voyou. Nous n’échappons jamais à notre histoire, mais nous pouvons faire des choix, transformer une névrose en une chose merveilleuse. Rien ne prédestine certaines personnes à la chute, la vie de quiconque peut basculer d’un jour à l’autre. La frontière entre le bien et le mal est extrêmement ténue. Les circonstances jouent également un rôle majeur. Je pense aux années 1940, des personnes aux vies simples sont devenues de véritables héros, dans ces circonstances, ces personnes auraient une vie simple et tranquille. Cette dimension rend le métier d’avocat passionnant, les avocats sont au cœur d’une sorte de magma humain, rien n’est jamais figé.»
JHM : D’autres passions ont-elles une place dans votre vie ?
E.D-M : «J’aime chasser, loin des êtres humains, je chasse au faucon, quand mon faucon est dans le ciel, je ne pense pas à l’univers de violence qui est le mien. L’univers d’un avocat, c’est le sang et les larmes. Je chasse, j’ai la chance d’avoir quelques amis depuis trente ans, l’amitié est une valeur essentielle à mes yeux. La convivialité, la bouffe, le vin… J’aime les bons moments.»
JHM : Une dernière chose… Que pensez-vous de l’état des prisons dans cesi beau pays ?
E.D-M : «Une honte ! La Moldavie est plus mal placée que nous… Que dire ? Pathétique !»
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