Un amendement visant à restreindre le «vapotage» a été voté ce mercredi. Gaspard Koenig s’inquiète d’une législation qui voudrait domestiquer le corps, par l’interdiction d’une attitude.
Les arguments échangés sur le vapotage dans le cadre du projet de loi santé font frémir. Un amendement visait tout bonnement à interdire, dans tous les lieux où la cigarette est prohibée, «de simuler l’acte de fumer au moyen de tout dispositif permettant d’imiter l’exhalation de fumée». Il a finalement été rejeté par la Commission des Affaires Sociales. Un autre, adopté celui-là, restreint le vapotage en raison (notamment) du «geste rappelant celui de fumer». Autrement dit, l’e-cigarette serait bannie non pour sa dangerosité propre, mais pour le geste même de fumer, jugé incitatif.
Rappelons que la cigarette électronique n’a en elle-même aucun impact négatif prouvé sur la santé, et qu’on se demande bien de quoi l’État vient, encore une fois, se mêler. Passons sur le fait que l’e-cigarette a permis, mieux que toutes les politiques gouvernementales répressives, de faire fortement baisser les ventes de tabac l’année dernière, et qu’une loi trop restrictive risquerait de relancer la consommation de «vraies» cigarettes. Il y a bien pire dans cet amendement. C’est, à ma connaissance, la première fois dans notre histoire républicaine que le législateur s’apprête à interdire un geste en tant que tel.
Cette innovation vient parachever la marche du contrôle politique dénoncé par Foucault dansSurveiller et Punir (1975). «Il y a eu au cours de l’âge classique, écrit Foucault en remontant au XVIIe siècle, toute une découverte du corps comme objet et cible du pouvoir.» De même que Descartes faisait du corps une machine, le politique va s’atteler à machiner le corps, et ce dans les moindres détails: «il ne s’agit pas de traiter le corps par masse, en gros, comme s’il était une unité indissociable, mais de le travailler dans le détail; d’exercer sur lui une coercition ténue, d’assurer des prises au niveau même de la mécanique -mouvements, gestes, attitudes, rapidité: pouvoir infinitésimal sur le corps actif». Foucault développe principalement les exemples de l’armée et de la prison, lieux privilégiés de dressage des corps et de répression de l’individualité.
L’objectif de ce «pouvoir infinitésimal» depuis lors, c’est bien de rendre les corps dociles, obéissants: «le corps humain entre dans une machine de pouvoir qui le fouille, le désarticule et le recompose». Foucault examine en particulier la mise en corrélation du corps et du geste. «Le contrôle disciplinaire ne consiste pas simplement à enseigner ou à imposer une série de gestes définis; il impose la relation la meilleure entre le geste et l’attitude globale du corps.» Ainsi, c’est non seulement le geste d’exhaler de la fumée qui est aujourd’hui condamné par les députés, mais «l’attitude globale» du fumeur, cette pose nonchalante et réflexive qui est pour beaucoup tout aussi savoureuse que le goût du tabac. Comment, les citoyens voudraient jouir d’un plaisir innocent? Interdisons le geste!
Appliquant son analyse historique à la société contemporaine, Foucault ne cessa de dénoncer les institutions carcérales. En une évolution qui ne l’aurait sans doute pas surpris, voilà que c’est la société entière qui va devenir une prison. Résistons à cette folie du contrôle. Si aujourd’hui la question de l’e-cigarette paraît anecdotique, demain le développement des biotechnologies permettra à nos députés d’aller bien plus loin dans la domestication du corps. «Dans cette humanité centrale et centralisée, conclut Foucault, où corps et forces sont assujettis par des dispositifs d’incarcération multiples, il faut entendre le grondement de la bataille». Cette bataille, ce sera à nos députés de la mener à la fin du mois, lors de la discussion de la loi santé en séance plénière.