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Source : http://www.ouest-france.fr
En 2017, la nicotine ne figure pas sur la liste des produits dopants. Pourtant, tout laisse à croire qu’elle améliore les performances sportives. Jean-Jacques Menuet, médecin référent de l’équipe cycliste professionnelle Fortunéo-Vital Concept, revient pour l’édition du soir sur cette substance.
Une cigarette est-elle dopante ? À ce jour, la nicotine est absente de la liste des produits dopants. Pour autant, l’Agence mondiale antidopage (AMA) la surveille de très près depuis 2012. « En effet, lors d’examens urinaires, les instances ont noté que certains sportifs de haut niveau consommaient beaucoup de nicotine, avec des pics relevés lors des compétitions », dévoile Jean-Jacques Menuet, médecin du sport à Saint-Malo. En 2011, un laboratoire de Lausanne s’est penché sur le sujet. Le verdict est stupéfiant : sur 2 200 sportifs de haut niveau, 23 % d’entre eux comptaient des traces de nicotine dans leurs résultats.
Une pratique ancienne. Dans les années 1900, le footballeur gallois Billy Meredith mâchait du tabac durant ses matchs, et a joué jusqu’à ses 45 ans en équipe nationale. Par ailleurs, aux Jeux olympiques de Montréal en 1976, des traces de nicotine auraient été retrouvées chez des sportifs. L’équivalent de quatorze paquets de cigarettes fumés dans la journée. Ça fait (un peu) beaucoup.
Stimulation des réflexes
Le but : se perfectionner. « Ces sportifs en consomment pour faciliter la performance. Même si le produit est autorisé, cette pratique n’est pas éthique. Développer la performance par l’entraînement, la nutrition, l’hygiène de vie, oui, mais pas via une molécule ! », s’exclame le médecin. C’est d’ailleurs la définition même du dopage, selon le Larousse : « Le fait d’administrer, en vue d’une compétition sportive, des substances ou des procédés de nature à accroître artificiellement les capacités physiques d’une personne. »
Les sportifs l’utiliseraientpour ses effets stimulants. « La nicotine stimule le processus neuro-sensoriel. Elle dynamise la vigilance et les réflexes », révèle-t-il. Le sportif est ainsi plus adroit, éveillé, précis et réactif. Dopé en quelque sorte ? « Oui », répond-t-il d’emblée, ajoutant que « la prise de nicotine et la consommation d’EPO ou d’anabolisants ne sont bien sûr pas à considérer avec le même regard. » Les chiffres sont pourtant manifestes : selon une étude de 2013, les athlètes consommateurs de snus, une poudre de tabac humide, verraient leurs performances augmenter de 13,1 %.
Patchs, chewing-gums et snus
Le snus est une poudre de tabac humide à placer entre la gencive et la lèvre supérieure, très courante en Suède. (Photo : Wikipédia)
C’est bien connu, certains sportifs fument. Mais ceux qui utilisent la nicotine en vue d’améliorer leurs performances la consomment directement sous trois formes : « les patchs, le snus (une poudre de tabac humide à placer entre la gencive et la lèvre supérieure, très courante dans les pays nordiques), et les tablettes à mâcher à base de nicotine ».
Ces différents moyens, n’étant pas inhalés, sont en effet « moins toxiques pour les bronches que la cigarette, puisqu’ils ne contiennent pas de goudron ni de monoxyde de carbone », explique Jean-Jacques Menuet. Ils ne pénalisent pas le sportif. En cela, il est important de dissocier le fumeur du « dopé ».
Et la cigarette électronique dans tout ça ? « J’ai vu très peu de sportifs en utiliser », avoue le médecin. Elle aussi est « moins toxique pour le poumon que la cigarette parce qu’on n’inhale pas de produits de combustion », poursuit-il. Et si la concentration en nicotine varie selon les cigarettes électroniques, son taux peut atteindre celui des cigarettes classiques.
De nombreux sports touchés
Les gommes à la nicotine sont utilisées par certains sportifs pour « doper » leurs performances. (Photo : Fotolia)
Les risques n’en sont pas moins importants. « Inflammation de la gencive, augmentation de la fréquence cardiaque, de la tension artérielle, risque d’accidents cardio-vasculaires ou encore cancers de la bouche, de la gencive, de la langue et du pancréas », énumère le médecin du sport. Sans omettre la « dépendance » qu’engendre le produit : c’est bien la nicotine qui rend accro à la « clope ». En ce sens, ces autres formes de consommation sont tout aussi addictives que la cigarette.
Quelles sont les sports touchés par un produit dopant ?
Des conséquences qui ne semblent pas effrayer les consommateurs, en quête constante de performances. Le phénomène touche de nombreuses disciplines. Parmi eux, les sports nordiques, comme le hockey sur glace ou encore le ski. Car si l’Union européenne a interdit la vente de snus en 1992, un pays est exempté : la Suède. Là-bas, une personne sur cinq en consomme à titre récréatif. « C’est pour cela que c’est dans la culture du hockey sur glace de l’utiliser pour booster les performances. Au total, environ 50 à 60 % des hockeyeurs en consomme », livre Jean-Jacques Menuet.
Les sports nordiques ne sont pas les seuls touchés par le phénomène. « Dans le football, notamment américain, ça existe. Dans des disciplines collectives, si un joueur en consomme, les autres seront plus à même à suivre. Dans le cyclisme, c’est également arrivé. Il me semble que dans le peloton français aussi. J’ai fait une enquête dans mon équipe (NDRL : Fortunéo-Vital Concept), heureusement pas un des coureurs en consomme », dit-il, soulagé.
Du « dopage » autorisé
Pour Jean-Jacques Menuet, médecin référent de l’équipe cycliste Fortunéo-Vital Concept, la nicotine devrait figurer sur la liste des produits dopants. (Photo : alco81/Fotolia)
Le médecin se dit clairement « contre » l’utilisation de nicotine pour trois raisons : « C’est une aide à la performance. La nicotine est nuisible à la santé et enfin la démarche n’est pas éthique par rapport au sport. Or, l’Agence mondiale antidopage considère un produit dopant comme un produit répondant à ces trois conditions… En ce sens, la nicotine devrait figurer sur la liste des produits dopants. »