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L’État accro au tabac: l’alliance qui tue

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Dans L’Etat accro au tabac (First), Matthieu Pechberty raconte comment Bercy, les fabricants et les buralistes s’entendent au détriment de la santé des Français. Une enquête minutieuse et accablante.
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« Toutes les politiques liées au tabac, de santé publique comme des prix, visent à protéger les recettes fiscales du tabac » soutient Matthieu Pechberty dans son enquête « L’Etat accro au tabac. »

 

Il y a un moyen radical pour faire reculer la consommation de tabac : augmenter très fortement le prix de ce produit toxique -78 000 morts en France par an. Ce moyen-là, l’Etat refuse de le mettre à l’oeuvre par peur de perdre de précieuses recettes fiscales.

Journaliste au Journal du dimanche, Matthieu Pechberty décortique les ressorts de cette alliance implicite. Il met l’accent sur les liens entre l’administration des douanes, à Bercy, et les cigarettiers ; sur la défaite permanente des ministres de la Santé face à leurs collègues des Finances ; il démontre l’impuissance du Parlement, souvent aux ordres d’habiles lobbyistes.

 Les quelques courageux -comme Yves Bur, ex-député (UMP) du Bas-Rhin- sont réduits à la posture de Don Quichotte. Les ambitieux -qui veulent se faire un nom en misant sur un noble combat- se laissent convertir à la prudence. Ainsi Thomas Thévenoud. Finalement, c’est d’une autre manière que le député de Saône-et-Loire s’est rendu célèbre, après l’achèvement de l’ouvrage de Matthieu Pechberty. 

 

[Extraits]

Avec 14 milliards d’euros par an, les recettes fiscales du tabac sont essentielles pour le budget de l’Etat. Un poids majeur dans la mesure où la totalité de ces recettes sont apportées au financement de la branche maladie de la Sécurité sociale […]. Du coup, toutes les politiques liées au tabac, de santé publique comme des prix, visent à protéger ce trésor de guerre. L’Etat sait qu’une hausse des prix inférieure à 6% est indolore pour les fumeurs, explique l’ancien directeur financier d’un des quatre géants du tabac.[…] Une stratégie imparable qui dure depuis dix ans. Quels que soient les gouvernements et les ministres, de droite ou de gauche […]. 

[Les trois grands acteurs -Etat, fabricants, buralistes-s’entendent pour augmenter les prix sans tuer le marché. L’ancienne Seita occupe une place particulière.] 

Aujourd’hui, bien que distancée par Philip Morris et Japan Tobacco, l’ancienne Seita -rachetée depuis par […]Imperial Tobacco- regorge d’anciens hauts fonctionnaires ou énarques. […] Les dirigeants de la Seita entretiennent toujours des relations très fortes avec l’administration des douanes. « […] Le nom de la Seita ouvre des portes et permet d’être écouté, explique un ancien dirigeant. Il y a une relation de confiance qui permet de faire passer des messages auprès des cabinets ministériels. » 

L’ancien député Yves Bur va jusqu’à parler « d’esprit de corps entre la Seita et Bercy ». Fraîchement parachuté dans la lutte contre le tabagisme, en 2002, il découvre avec étonnement les accointances personnelles très fortes entre le pouvoir et « l’industrie de la mort », comme il l’appelle. A l’époque, il dépose un amendement visant à augmenter le prix minimal des cigarettes. Les plus visées sont les moins chères : les Gauloises, fabriquées par la Seita. Il s’étonne du retentissement qu’il provoque. « Juste avant que mon texte ne passe en commission des Affaires sociales, un gars de Bercy, dénommé Castex, s’est pointé et m’a dit que jen ‘y comprenais rien, explique-t-il. Il a même fait du chantage à l’emploi, m’a dit que la Seita risquerait de licencier à Strasbourg. »  

Le député l’envoie sur les roses, mais n’est pas à la fin de ses surprises. « En séance, à l’Assemblée, des collaborateurs de Bercy faisaient passer des mots aux députés pour les convaincre de ne pas voter mon amendement. Il est passé avant d’être retoqué au Sénat. »[…] 

Yves Bur raconte encore une anecdote sur les liens étroits entre l’administration et les géants du tabac. En 2005, il est invité par les Douanes à un colloque sur la fiscalité, à Strasbourg. Il n’en revient pas de voir que le directeur local des Douanes, un certain Masset, et le patron de Philip Morris France, Chris Dilley, échangent librement, se tutoient et parlent même de leurs épouses, ne cachant pas leur proximité. 

À la limite du conflit d’intérêts

[…] Sur un sujet éminemment complexe comme le tabac, les Douanes ont le pouvoir, car lles seules connaissent le marché et ont des relations avec les industriels et les buralistes. […] L’un des derniers douaniers illustrant ce pouvoir est Galdéric Sabatier. Pendant six ans, de 2007 à 2013, il a géré l’optimisation des recettes fiscales, avec brio. […] « Au cabinet du ministre, beaucoup s’étonnaient de son pouvoir et de ses décisions très favorables aux fabricants. Il n’avait aucun sens du service public, c’était à la limite du conflit d’intérêts, explique un ancien collaborateur de Jérôme Cahuzac au ministère du Budget. Mais il rapportait tellement de pognon que le marché était cogéré avec les industriels. »  

Haut fonctionnaire d’une cinquantaine d’années, cet ancien sous préfet des Hautes-Pyrénées […] a été débarqué en juillet 2013 de l’administration, après qu’un article du JDD et une émission de France 2 eurent rapporté sa présence à un déjeuner organisé par British American Tobacco. Son supérieur hiérarchique Henri Havard, également présent au déjeuner, a été évincé en même temps. « [Sabatier] les connaissait tous, reconnaît un de ses anciens collaborateurs, ce n’était pas la mafia, mais il y avait une collusion. » 

Il jouait régulièrement au golf avec Daniel Sciamma, le patronde Japan Tobacco International, […] il n’avait pas hésité, à la fin de l’année 2009, à se rendre directement dans les locaux de British American Tobacco, à Paris, dans le XVIe arrondissement, pour réaliser avec un des cadres de l’entreprise des calculs sur l’impact des hausses de prix. 

Comble du comble, son successeur, Régis Cornu, était en fait son prédécesseur quinze ans auparavant ! […] Il a notamment travaillé à la mise en place du premier contrat d’avenir -aides publiques- pour les buralistes en 2005. S’il n’a pas pris autant de pouvoir, il reste intimement lié aux fabricants. « Cornu, je l’ai connu il y a vingt ans, quand il était en culotte courte ! s’amuse un ancien dirigeant de Philip Morris. Tous les fabricants le connaissent. » 

L’offensive du cartel du tabac

[A la fin de juillet 2012, le gouvernement Ayrault veut relever les droits sur le tabac de 64,25% à 65,75%. Parallèlement, Bercy entame des discussions pour la prochaine hausse des prix de 6%, prévue en octobre. La bataille commence.] 

Les majors refusent d’augmenter le prix de leurs cigarettes, compte tenu de l’alourdissement de fiscalité qui les attend. Et décident de passer à l’action. Dans la plus grande discrétion, elles organisent une rencontre pour parler du sujet. C’est la patronne de Philip Morris France [depuis 2005], Jeanne Pollès, qui en prend l’initiative. […] Mi-juillet, elle convie les patrons de ses trois concurrents à un déjeuner secret.  

[La rencontre] aura lieu fin juillet, au Fouquet’s, le célèbre restaurant des Champs-Elysées. Ce choix n’est pas un hasard. Le fabricant des Marlboro [Philip Morris] a l’habitude de ces lieux. « Nous connaissons bien la société Philip Morris, confirme le directeur commercial de l’hôtel. Nous faisons souvent des banquets avec eux et parfois, ils viennent au Diane. » […] Mais, cette fois, les « big four » ne se retrouvent ni au restaurant, ni même dans les salons privés, trop exposés […]. Jeanne Pollès, Soraya Zoueihid [British American Tobacco], Martin Carroll [Imperial Tobacco France] et Daniel Sciamma [Japan Tobacco] se réunissent dans une chambre, dans les plus hauts étages de l’hôtel Fouquet’s.  

L’ordre du jour est clair : éviter l’augmentation des taxes […]. Le cartel décide de jouer le bras de fer et de refuser de relever ses prix à l’automne. « Tout le monde s’est mis d’accord pour […] ne pas augmenter comme prévu », explique une source anonyme, qui a participé à la préparation du déjeuner. Un porte-parole actuel de Philip Morris, interrogé par l’auteur, n’a pas souhaité répondre sur ce sujet. Mais il n’a pas démenti…  

Quoi qu’il en soit, l’offensive décidée pendant ce déjeuner secret porte ses fruits. Les messages sont portés à Bercy, qui calme le jeu de peur de déclarer une guerre inutile. Mieux vaut continuer à s’entendre avec l’industrie qui lui rapporte tant. Début décembre, le Parlement vote le passage du taux des taxes de 64,25% à 64,7%, soit 1% de moins que prévu à l’origine. Les majors s’évitent de perdre, à elles quatre,180 millions d’euros supplémentaires. 

Source : http://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/l-etat-accro-au-tabac-l-alliance-qui-tue_1611370.html

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