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Vapoter pour se sevrer du tabac une solution fiable
Source : http://www.sciencesetavenir.fr
Selon plusieurs études récentes, l’e-cigarette apparaît comme un outil de sevrage tabagique efficace. Mais son utilisation par les plus jeunes inquiète et divise. Enquête.
«La cigarette électronique n’est pas une porte d’entrée dans le tabagisme. C’est plutôt un frein et un concurrent du tabac ! Bien moins toxique. » C’est presque réjoui que le Pr Bertrand Dautzenberg, tabacologue et pneumologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), descend de l’estrade, ce 2 décembre2016. Il clôt le symposium E-Cig, le premier « purement scientifique sur la “vape” [inhalation d’un liquide, avec ou sans nicotine, chauffé par une batterie], indépendant des industries du tabac ou de la pharmacie », organisé à La Rochelle avec le CNRS, l’Inserm, les universités de Poitiers et Bordeaux et la Fivape, Fédération interprofessionnelle de la vape. Quarante-huit heures d’échanges entre vingt-quatre chercheurs venus de quatorze pays (Europe et États-Unis), qui ont disséqué comment la nicotine est délivrée par l’ecigarette ou son lien avec l’incitation à fumer chez les jeunes, un sujet qui continue d’inquiéter.
Pour les chercheurs, si la cigarette électronique apparaît comme un outil potentiel pour arrêter le tabac, il est désormais urgent d’apprécier la balance entre les bénéfices et les risques pour les différents types d’utilisateurs (femmes enceintes, fumeurs invétérés, asthmatiques, etc.). Rappelons qu’elle comptait entre 13 et 20 millions d’utilisateurs au monde en 2015, dont 500 000 à 3 millions en France, selon les sources.
Pour 51,6 % des Européens, l’e-cigarette est dangereuse
Selon les témoignages que nous avons recueillis lors d’un autre colloque sur le sujet à Lille, début novembre, les tabacologues sont en effet « submergés en consultation par les demandes de conseils pratiques », « curieux de savoir si elle est aussi efficace que les autres méthodes de sevrage (patchs nicotiniques, médicaments) », ou si « elle favorise la prise de poids ». D’autant que, paradoxalement, la méfiance croît dans la population parallèlement à la demande ! « Les Européens sont désormais 51,6 % à considérer la cigarette électronique comme dangereuse, contre 27,1 % en 2012 », souligne l’oncologue Maciej Goniewicz, du Roswell Park Cancer Institute (États-Unis).
Si les chercheurs n’hésitent plus à affirmer qu’elle permet d’arrêter le tabac, c’est en raison des chiffres dont ils disposent désormais. « 6,1 millions d’Européens auraient arrêté de fumer et 9 millions auraient réduit leur consommation grâce à elle », analyse le Français Jacques Le Houezec, membre de l’équipe de recherche en addictologie de l’Inserm, en se fondant sur le dernier Eurobaromètre 2014, une enquête menée sur plus de 24 000 Européens.
Vapoter pour se sevrer du tabac une solution fiable
Que corroborent quatre autres enquêtes de 2014 et 2015, basées sur des questionnaires qualitatifs rétrospectifs concernant les habitudes des fumeurs et vapoteurs en France, en Europe et aux États-Unis, que nous avons épluchées. Des indications très précieuses pour la santé publique quand on sait que le tabac est responsable aujourd’hui dans le monde de 14 % des décès résultant de « maladies non transmissibles », selon l’OMS (2016). Autre indice favorable : la dernière méta-analyse de la collaboration Cochrane – qui a réuni 28 000 volontaires de 100 pays pour passer en revue toute la littérature sur le sujet – a pris en compte 11 études parues depuis ses travaux de 2014 sur le sujet. Et elle conclut à nouveau que « l’utilisation d’une cigarette électronique contenant de la nicotine augmente les chances d’arrêter de fumer à long terme par rapport à l’utilisation d’une cigarette électronique sans nicotine ». Elle permettrait à près d’un fumeur sur dix de cesser dans l’année de fumer des cigarettes, et à un tiers de réduire sa consommation. Dernier indicateur : que ce soit aux États-Unis ou en Europe, y compris en France, les chiffres montrent que la consommation de tabac se réduit de 1 à 2 % chaque année depuis 2012. Selon les plus optimistes, cette baisse pourrait être liée à l’e-cigarette.
Les industriels du tabac investissent le marché
Il faudra désormais conforter ces données par des essais cliniques, aujourd’hui malheureusement trop rares : seuls deux essais cliniques contrôlés et randomisés (dont les participants sont répartis au hasard) – l’un italien, l’autre néo-zélandais – ont suivi 662 sujets au total pendant au moins six mois.
Si les données sont si disparates, c’est que le succès de la cigarette électronique, inventée en 2003 et développée par les start-up depuis 2012, a pris tout le monde de court : les États, les industriels et les scientifiques, qui travaillent désormais à rattraper leur retard, au risque de la confusion. En outre, l’arrivée récente dans le secteur de gros industriels du tabac, qui ont tardivement compris les bénéfices potentiels qu’ils pouvaient tirer de ce nouveau marché, a ajouté à la pression ! Leurs laboratoires, comme ceux de British American Tobacco que nous sommes allés visiter à Southampton (Royaume-Uni), se sont en effet lancés à leur tour dans la publication d’essais pharmaceutiques et cliniques testant la toxicité des cigarettes comparée à celle des cigarettes électroniques ou des produits dits de tabac chauffé, leur prochaine martingale.
Un dispositif bientôt remboursé en France ?
Selon les pays, la réglementation sur la cigarette électronique est très variable. Ainsi, en Grande-Bretagne, British American Tobacco a obtenu l’agrément des autorités sanitaires pour un « système électronique de délivrance de nicotine » inspiré de la cigarette électronique. Ce sera le premier outil de sevrage de ce genre remboursé au monde ! Ce qui fait dire à l’économiste Christian Ben Lakhdar, membre du Haut Conseil de la santé publique (HSCP, France), que les cigarettiers ont trouvé le « jackpot ». « Ils fabriquent désormais le poison et l’antipoison… »
Dans son avis de février 2016, le HSCP voudrait pourtant que la France suive cette ligne et recommande « une cigarette électronique “médicalisée” afin qu’elle soit potentiellement remboursée par l’Assurance maladie en France ». Ce qui n’est pas encore le cas. L’Hexagone – et l’Europe – limitent en effet l’utilisation du dispositif dans les lieux publics et l’interdisent aux mineurs. Les États-Unis, inquiets des dangers potentiels de la nicotine, ne délivrent des autorisations qu’au compte-goutte. Quant à l’OMS, elle vient de choisir une ligne « dure », recommandant aux 180 pays signataires de la CCLAT (Convention-cadre pour la lutte antitabac) de l’interdire, ou à tout le moins de la réglementer. Au grand dam du cardiologue grec Konstantinos Farsalinos, qui a édité une somme sur la cigarette électronique chez l’éditeur scientifique Elsevier, fin novembre 2016. « L’OMS est dans le déni ! explique ce membre de la Reason Foundation, un think tank libertarien. Alors que l’on pourrait sauver des millions de vies avec cet outil de réduction des risques. »
Pour que chacun puisse y voir plus clair, il est donc vraiment temps de faire le tri dans l’inflation d’articles de plus ou moins bonne qualité publiés depuis quelques années sur le sujet. Le moteur de recherche académique Google Scholar référençait ainsi 301 nouvelles publications en 2011, 471 en 2012, 1 360 en 2014, et 1910 fin 2016… au total, 6 724 ces cinq dernières années ! Même courbe à l’envolée chez PubMed, principal moteur de recherche concernant les données de biologie et médecine, plus sélectif, qui en affiche 2416. Dans cette avalanche, les résultats sont ardus à démêler. Les scientifiques réunis à La Rochelle ont donc appelé à standardiser les protocoles pour évaluer correctement la toxicité du produit et son efficacité.
Dès 2017, un essai français rigoureux et ambitieux
C’est d’ailleurs peut-être de France que viendra une première réponse : en avril ou mai, le pharmacologue Yvan Berlin, praticien à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris et chercheur à l’Inserm, va entamer l’essai le plus ambitieux et le plus rigoureux sur le sujet. 650 fumeurs âgés de 18 à 70 ans et de toute condition physique – les cardiaques n’en seront pas exclus – essaieront d’arrêter de fumer et recevront, pour ce faire, une vapoteuse avec ou sans nicotine et quatre comprimés soit de varénicline (un médicament antitabac commercialisé sous le nom de Champix), soit de placebo. Les sujets seront répartis aléatoirement dans les groupes et ni eux ni les chercheurs ne sauront qui a reçu quoi. Les résultats seront connus en 2019.